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Le 8 juillet 2022, le Conseil d’Etat genevois validait l’initiative cantonale « Pour une contribution temporaire de solidarité sur les grandes fortunes », lancée par le Parti Socialiste Genevois un peu plus d’une année auparavant.

 

Cette initiative, qui aurait pour but – selon ses auteurs – de « sortir de la crise sanitaire, sociale, économique et climatique », propose en premier lieu de soumettre, durant une période supposée durer 10 ans, les fortunes imposables de plus de 3 millions de francs à une contribution de solidarité de 2,5 ‰, à laquelle s’ajoutent naturellement les centimes additionnels cantonaux et communaux.

 

Le Conseil d’Etat genevois soutient l’initiative et se dit favorable aux modifications fiscales proposées par ces derniers, sous réserve de la durée de 10 ans, qu’il juge trop longue. Il a dès lors invité le Grand Conseil à opposer à l’initiative un contre-projet réduisant cette durée à 5 ans mais conservant toutes les modifications de fond envisagées par l’initiative.

 

Ainsi, pour autant que l’initiative soit acceptée par le peuple genevois, celle-ci aurait pour effet d’augmenter le taux maximal d’imposition sur la fortune, centimes additionnels cantonaux et communaux compris, d’environ 1,01% – déjà actuellement le plus élevé de l’ensemble des cantons suisses – à environ 1,5%, soit une augmentation de près de 50%.

 

A cet égard, rappelons à titre d’exemple, que nos voisins du canton de Vaud appliquent un taux d’imposition maximal – déjà parmi les plus élevés du pays – d’environ 0,79% au titre de l’impôt sur la fortune, soit une différence de près de 190% par rapport au taux de 1,5% proposé par l’initiative.

 

En outre, malgré son titre, l’initiative prévoit également de modifier de manière permanente les règles protectrices de plafonnement de l’imposition globale des contribuables genevois. C’est notamment le cas pour les dispositions relatives au bouclier fiscal, qui, pour rappel, inscrivent en matière fiscale la garantie constitutionnelle du droit à la propriété et permettent d’éviter que la charge fiscale effective des contribuables n’acquière un caractère confiscatoire. Les modalités spécifiques de ces boucliers varient d’un canton à l’autre.

 

A Genève, les impôts sur le revenu et la fortune ne peuvent actuellement excéder 60% du revenu net imposable. Toutefois, pour ce calcul, le rendement net de la fortune est en l’état fixé au moins à 1% de la fortune nette. Malgré son caractère temporaire, l’initiative prévoit néanmoins de modifier ce calcul de manière permanente en augmentant le rendement présumé de la fortune nette à 2% et, par conséquent, de restreindre la portée des règles protectrices de plafonnement de l’imposition globale à Genève.

 

Les initiants ne semblent malheureusement pas saisir l’importance des contribuables aisés pour Genève. Les 7’500 contribuables les plus fortunés du canton, à l’heure actuelle, contribuent dans une large mesure aux finances publiques cantonales et supportent une charge fiscale déjà très lourde. En effet, selon la Fondation pour l’attractivité du canton de Genève (FLAG), 3,2% d’entre eux financent actuellement plus de 83% des recettes perçues au titre l’impôt sur la fortune du canton. Cette inégalité de traitement est d’autant plus marquante que, grâce à ces gros contribuables, plus d’un tiers de la population genevoise imposable ne paie pratiquement pas d’impôts et que plus de 71% de cette population ne s’acquitte d’aucun impôt sur la fortune.

 

Cumulées aux modifications définitives relatives au bouclier fiscal, les révisions fiscales proposées par l’initiative pourraient contraindre les contribuables concernés à entamer leur patrimoine pour payer leurs impôts. Parmi ces contribuables, outre les grandes fortunes, seraient également visés de nombreux propriétaires immobiliers et entrepreneurs. S’agissant en particulier des entrepreneurs, il sied de préciser que, les parts d’entreprises étant valorisées, sous l’angle de l’impôt sur la fortune, d’après leur prix de vente théorique applicable sur le marché (méthode dite des Praticiens), la fortune imposable de ces contribuables peut souvent dépasser le montant de 3 millions de francs. Le canton de Genève ne prévoit d’ailleurs aucun traitement privilégié quant à la valorisation de l’outil de travail (contrairement à de nombreux autres cantons).

 

L’augmentation des déductions sociales sur la fortune, également envisagée par l’initiative, ne sera au demeurant pas suffisante pour faire obstacle à l’impact fiscal que menace de générer cette dernière.

 

Conscients de ce risque, les contribuables les plus aisés ont d’ores et déjà entamé les démarches liées aux préparatifs de leur départ du canton au cas où la population genevoise devait accepter l’initiative lors des votations. Il est en effet aisé de comprendre que face à une augmentation supplémentaire de leur charge fiscale, ces contribuables seraient inévitablement conduits à suivre la tendance, déjà pratiquée par les plus grandes fortunes du canton depuis plusieurs années, de quitter Genève pour des cantons ou des pays voisins à la fiscalité plus attractive, emportant avec eux une part de recettes fiscales bien plus importante que celle qu’envisage de générer l’initiative. Ces pertes fiscales devront ensuite pour leur part être compensées et finiront donc probablement par être répercutées sur la classe moyenne qui devra supporter une augmentation ultérieure de sa charge fiscale.

 

Il sied également de relever que cette augmentation supplémentaire de la charge fiscale des contribuables, telle que préconisée par l’initiative, va à l’encontre de la tendance générale actuellement suivie par la plupart des cantons voisins ou, à plus large échelle, par de nombreux Etats européens qui, conscients des avantages économiques à accueillir de grandes fortunes, mènent de véritables campagnes fiscales visant à les attirer. Il en va notamment ainsi dans les cantons de Vaud ou du Valais, lesquels envisagent prochainement de diminuer le taux d’imposition frappant la fortune de leurs contribuables.

 

A la lumière de ces considérations, l’initiative proposée par le Parti Socialiste Genevois, faussement présentée comme étant temporaire, aurait à notre sens pour conséquence inéluctable de faire non seulement perdre au canton le peu de compétitivité et d’attractivité fiscale qui lui reste, mais aussi de fragiliser encore la pyramide fiscale genevoise. Pour « sortir de la crise sanitaire, sociale, économique et climatique », but de l’initiative, il serait préférable d’entreprendre des réformes structurelles de l’Etat, d’assurer une meilleure gestion des dépenses et de ne pas perdre de vue que l’attractivité fiscale est la clé d’une économie saine, favorisant les investissements et l’emploi.

 

Un article rédigé par Luca Bozzo / Andrea Baratta / Enguerrand Collignon

 

 

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