L’Administration fiscale cantonale de Genève (« AFC ») a récemment actualisé sa pratique en matière d’exonérations fiscales pour les associations et fondations poursuivant un but d’utilité publique. Cette mise à jour – attendue et bienvenue – clarifie plusieurs points essentiels, tout en réaffirmant la volonté du canton d’accompagner de manière pragmatique et transparente les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Elle constitue un signal positif pour le secteur philanthropique genevois, qui bénéficie désormais d’un cadre plus lisible et mieux adapté aux réalités actuelles.
Activités à l’étranger : une ouverture confirmée
L’AFC confirme qu’une activité d’intérêt général exercée partiellement ou entièrement à l’étranger peut ouvrir droit à l’exonération fiscale. L’élément central reste l’existence d’un intérêt jugé suffisant pour la collectivité suisse. Les domaines de l’aide humanitaire, du développement, de la protection de l’environnement ou encore des initiatives culturelles constituent des exemples typiquement admis.
L’AFC rappelle également que le cercle des bénéficiaires doit rester ouvert et ne pas se limiter à un groupe spécifique de personnes, condition essentielle pour caractériser un véritable intérêt général.
Désintéressement et recours possible au financement entrepreneurial
Le principe du désintéressement demeure au cœur du régime d’exonération : l’activité doit être menée sans recherche d’avantages économiques directs ou indirects pour les membres, l’organe dirigeant ou des personnes proches. Cette notion reste décisive, y compris lorsque l’entité utilise des instruments financiers tels que des prêts, garanties ou investissements pour soutenir ses bénéficiaires (investissements à impact).
En revanche, l’AFC admet désormais plus explicitement ces formes de « financement entrepreneurial », pour autant que leur mise en œuvre ne compromette pas le caractère désintéressé de l’activité. Les entités souhaitant recourir à ces mécanismes sont invitées à solliciter une demande d’accord fiscal préalable (ruling) détaillant leur projet et démontrant que la démarche s’inscrit dans un objectif exclusivement philanthropique.
Indemnisation des organes dirigeants : une clarification attendue
La mise à jour de la pratique genevoise apporte également des précisions attendues quant à la rémunération des membres du Conseil de fondation ou du Comité d’association. Si le bénévolat demeure le principe, certaines indemnités peuvent néanmoins être expressément admises : le remboursement de frais effectifs, le versement de jetons de présence conformes aux standards cantonaux ou encore la rémunération d’un membre de l’organe dirigeant pour certaines de ses tâches considérées comme extraordinaires, soit celles excédant qualitativement ou quantitativement le cadre usuel de sa fonction.
La distinction entre ces deux catégories de tâches, quantitativement ou qualitativement extraordinaires, constitue l’un des apports notables de l’actualisation de la pratique fiscale genevoise.
Les tâches quantitativement extraordinaires regroupent les tâches qui relèvent normalement des fonctions habituelles du membre concerné (président, trésorier, secrétaire ou membre), mais qui, en raison du contexte, deviennent disproportionnées. Cela peut découler d’une augmentation significative de la taille ou de la complexité de l’institution, de la mise en œuvre d’une restructuration, ou d’une situation de crise exigeant un investissement accru.
Dans de tels cas, l’indemnisation peut être admise, pour autant qu’elle comporte néanmoins une notion de « sacrifice », laquelle peut, à titre d’exemple, prendre la forme d’un tarif horaire inférieur aux standards du marché ou un volume d’heures non rémunéré. L’objectif est de reconnaître l’effort exceptionnel consenti, tout en préservant la logique de non-lucrativité qui fonde l’exonération fiscale.
Quant aux tâches qualitativement extraordinaires, ces dernières comprennent les prestations qui ne relèvent pas du rôle usuel du membre de l’organe dirigeant et qui correspondent à un mandat spécialisé ponctuel. L’exemple typique est celui d’un avocat membre du Conseil sollicité pour représenter l’entité dans une procédure judiciaire. Dans cette configuration, une rémunération conforme au prix du marché est admise, la prestation étant assimilable à une intervention professionnelle externe rendue au bénéfice de l’entité.
Pour l’ensemble de ces tâches extraordinaires, qu’elles soient quantitatives ou qualitatives, une indemnisation cumulée allant jusqu’à CHF 10’000.– par an et par membre est acceptée par l’AFC, pour autant qu’elle soit adéquate, documentée et manifestement versée dans l’intérêt de l’organisation. Au-delà de ce montant annuel, le dépôt d’une demande d’accord fiscal préalable (ruling) est recommandé afin d’assurer la sécurité juridique et la reconnaissance fiscale de la rémunération versée. La demande devra notamment exposer le contexte justifiant l’indemnisation, les tâches concernées, ainsi que les documents internes pertinents (règlement, cahiers des charges, projets de mandats).
Séparation des pouvoirs : interdiction des cumuls fonctionnels rémunérés
La nouvelle pratique de l’AFC insiste également sur un principe de gouvernance désormais explicité : un membre de l’organe dirigeant ne peut simultanément exercer, avec un pouvoir décisionnel, une fonction rémunérée au sein de la direction opérationnelle de l’institution (directeur, cadre dirigeant, responsable de secteur, etc.). Une telle « double casquette » n’est admise que si l’intéressé ne siège au sein de l’organe dirigeant qu’avec une simple voix consultative, garantissant ainsi la séparation des rôles stratégiques et exécutifs.
Afin de sécuriser ce point, l’AFC propose, si applicable, l’insertion d’une clause statutaire prévoyant que les employés rémunérés de l’institution ne peuvent siéger au Conseil de fondation ou au Comité de l’association qu’avec une voix consultative.
Réalisée sous l’impulsion des conseillères d’Etat Delphine Bachmann et Nathalie Fontanet, cette mise à jour de la pratique genevoise d’exonération fiscale constitue une évolution importante pour les acteurs du secteur non-lucratif du canton. Elle renforce la sécurité juridique, précise les marges d’action en matière de gouvernance et de financement, et modernise l’interprétation de notions clés telles que l’intérêt général, le désintéressement ou l’indemnisation des organes dirigeants.
En clarifiant sa pratique, le canton confirme son ambition d’offrir un cadre fiscal cohérent, prévisible et propice au développement d’une philanthropie professionnelle et structurée. Il a par ailleurs mis en place un Conseil stratégique de la philanthropie qui réunit acteurs du secteurs et représentants de l’administration, afin de continuer à optimiser les conditions pour le secteur philanthropique genevois.


